L' Afrique découvre l'eau "PRIVATISEE"

Vu le fiasco étatique le Cameroun est pressé de céder ses différents services.

L'Etat camerounais ayant échoué, le géant français Suez-Lyonnaise des eaux doit assurer la distribution d'eau dans les villes les plus rentables. Le reste du pays sera-t-il à sec? En zones rurales, Helvetas appuie des initiatives prometteuses.

Régulièrement, au nom de l'assainissement économique, le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale (BM) demandent au Gouvernement camerounais d'accélérer les privatisations de l'eau, du téléphone et de l'électricité. Selon la BM, «les privatisations devraient aboutir dans les meilleurs délais afin d'assurer aux populations une amélioration et une disponibilité accrue des services essentiels».

Le Cameroun n'est pas le seul pays africain pressé par ces organisations à vendre certains pans de son économie. Pour l'eau comme pour l'électricité, les premières privatisations ont eu lieu dans l'ouest du continent, notamment en Côte d'Ivoire, au Mali ou au Sénégal, avant de s'étendre à une quinzaine de pays actuellement.

Les monopoles d'Etat ont été vendus ou mis en concession auprès des multinationales françaises Vivendi, Suez-Lyonnaise, EdF, ou encore SAUR/Bouygues. Aujourd'hui, même la firme suisse ABB est sur les rangs des repreneurs de la Société nationale d'électricité du Sénégal, au côté de Vivendi et EdF.

C'EST LE FIASCO

Les Camerounais n'ont rien à perdre en privatisant la distribution d'eau ou presque. Ils ne peuvent en effet voir qu'une amélioration avec l'arrivée du secteur privé, tant le fiasco étatique est complet: il n'y a que 150 000 abonnés à la SNEC (Société nationale des eaux du Cameroun) sur une population totale de 15 millions. L'immense majorité de ces bénéficiaires réside dans une dizaine de centres urbains (dont la capitale Yaoundé et le grand port de Douala).

Mais le privilège n'est pas toujours criant: quand l'eau coule du robinet, elle a une couleur et un goût de rouille, tant les tuyaux sont anciens. Presque la moitié du volume total de l'eau est perdue pendant le transport. Les nuits blanches dans l'attente d'un éventuel jaillissement sont de rigueur: «Il faut toujours avoir des seaux où stocker de l'eau, parce que les coupures sont fréquentes et longues. Ces derniers temps, l'eau n'est disponible que tard dans la nuit, entre 2 et 3 heures du matin», explique un habitant de Douala. Même dans la ville côtière de Kribi, qui compte plusieurs hôtels de luxe, il n'y a aucune goutte d'eau saine à boire pendant de longues périodes.

UNE SOURCE DE REVENUS

La privatisation de la SNEC, engagée il y a plus de deux ans, est bloquée depuis des mois. En 1997, Jean-Marie Antagana Mebara - devenu entre-temps ministre de l'Enseignement supérieur - percevait déjà quelques obstacles internes: « On peut s'attendre à ce que la privatisation de ces grosses entreprises réduise les moyens financiers, matériels et humains de quelques partis politiques, compte tenu du niveau de contribution directe de certains dirigeants et responsables (militants) de ces entreprises, ainsi que de leurs contributions financières indirectes diverses». En clair, quelques acteurs majeurs de la scène politique nationale pourraient refuser qu'on casse leur tirelire.

La SNEC, qui a un chiffre d'affaires de 16 milliards de Fcfa (40 millions de francs) est dirigée depuis plus de 20 ans par Clément Obouh Fégue, un membre influent du parti au pouvoir. Celuici a vivement critiqué l'offre de 500 millions de francs CFA (1,2 million de francs) pour la reprise de 51 % du capital, proposée par la société française Suez-Lyonnaise des eaux. Ce leader mondial du traitement de l'eau et des déchets a été désigné en janvier 2001 comme futur repreneur de la société nationale. Fégue affirme que «l'audit technique et industriel du patrimoine dégage une valeur nette de 208 milliards de Fcfa (700 millions de francs) pour l'ensemble des installations». La presse locale est venue à sa rescousse en dénonçant la braderie de la SNEC. Une demande d'annulation de la privatisation, estimée non transparente, a même été adressée à la Cour suprême.

PATRIMOINE BRADÉ ?

«Il faut replacer cette offre dans son contexte, tempère de son côté David Tchuinou, du bureau de la Banque mondiale à Yaoundé. Le gouvernement est plus intéressé par la qualité des services privés que parle montant de la reprise. De plus, l'opérateur s'engage aussi à endosser une partie de l'importante dette de la SNE C.»

Suez-Lyonnaise estime à 300 millions d'euros (près de 500 millions de francs) les investissements nécessaires pour assurer dans de bonnes conditions le service de l'eau dans les six principaux centres urbains jugés rentables. Pour l'heure, le «prix social» facturé par la SNEC pour 1000 litres d'eau est de 271 Fcfa (60 centimes).

Les communes et l'Etat «payent» -ils doivent respectivement 32 et 25 millions de francs à la société des eaux! quant à eux 337 Fcfa (80 centimes). De son côté, Suez-Lyonnaise a d'ores et déjà parlé d'un mètre cube à 1 dollar (1,6 franc) pour rembourser ses investissements!

CE N'EST PAS CLAIR !

Malgré tout, le gouvernement se veut rassurant; il prêtera une attention particulière à une augmentation «supportable» par les plus démunis du prix de l'eau. Un fonds spécial devrait être également financé par l'Etat et une frange des bénéfices de l'opérateur privé pour permettre l'amélioration de la fourniture d'eau dans les centres de moyenne importance ainsi que dans les zones rurales.

Certains cadres de la régie des eaux estiment cependant que ces projets demeurent flous: «Il y a un manque certain de coordination entre les acteurs de la privatisation, déplore Claude Kemayou, directeur général adjoint de la SNEC. Le gouvernement ne nous communique que peu de chose. La Suez-Lyonnaise des Eaux, elle, nous ignore carrément. Les Français nous traitent encore moins bien qu'au temps de la colonisation!»

FB / InfoSud avec DANIEL LOKA / Syfia

Fabrice Boulé de retout du Cameroun / La Liberté 3 décembre 2001

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