Le CICR peut redonner l'espoir.

Peut-on dire de vous que vous êtes en quelque sorte un homme de guerre devenu un homme de paix?

Jean Abt. Ce serait exagéré. Et dire cela ne serait pas exact dans la mesure où durant toute ma carrière militaire j'ai constamment été préoccupé par la protection de la paix, par la sécurité et par l'équilibre des communautés. Une période - école de recrues en 1958, remise de mon commandement fin 2000 - durant laquelle le monde a connu la guerre froide et quelque 150 conflits. Y compris en Europe, qui nous concerne de près, où le diable de la guerre et des conflits a beaucoup rôdé, à commencer par les Balkans où rien n'est terminé.

Mais vous avez quand même changé de cap...

Pour moi, guerre, paix et préoccupation humanitaire font un tout, dans ma réflexion comme dans ma démarche. En ce qui concerne l'humanitaire, dès mon adolescence j'ai été assez admiratif à l'égard du mouvement de la Croix-Rouge et de ceux qui l'ont mis en place au XIXe siècle, dont Henri Dunant et le général Dufour, deux figures importantes non seulement pour l'histoire suisse mais aussi pour celle du monde.

Pourquoi avoir choisi le métier des armes?

Je préfère parler de métier des hommes que de métier des armes. Cela dit, mon parcours est assez inhabituel. Fils d'agriculteur, mon idée première était de travailler la terre. J'ai donc été paysan sur le domaine paternel au Montsur-Lausanne. J'ai ensuite suivi l'école d'agriculture et des cours d'arboriculture. J'ai alors eu envie de quitter la maison, d'aller ailleurs, peut-être en Australie ou au Canada. D'où mon idée de suivre les cours de l'Institut tropical suisse, à Bâle.

On est bien loin d'une carrière militaire...

Oui, d'autant plus que je cherchais à éviter l'école de sous-officiers. Non pas que j'étais contre, mais j'avais un autre projet. J'ai quand même dû passer par là, ce qui a un peu changé le cours des choses. Puis j'ai suivi l'école d'officiers. Mais devenir instructeur, comme mon commandant m'y encourageait, ne me «parlait» pas tellement. J'ai préféré retourner sur les bancs d'école, obtenir une maturité commerciale et entrer à l'Université de Lausanne (HEC). Là, au bout d'un an, mon commandant est revenu à la charge et m'a convaincu de choisir le métier d'instructeur.

Que vous a apporté votre métier de soldat?

II m'a offert un parcours à la fois riche, varié et exigeant. Mon plus grand bonheur est de n'avoir pas eu à pratiquer la guerre. C'est aussi d'avoir pu connaître une Suisse en paix, jouissant d'une sécurité assez exceptionnelle et d'une indépendance importante. Qui n'a été obtenue ni par les armes ni à des conditions qu'un pays aurait pu lui imposer par sa puissance. Aussi, je ressens une reconnaissance profonde à l'égard de la génération de mes parents, et des précédentes, pour avoir, en des temps infiniment plus pénibles, consenti les efforts qui ont permis de préserver la qualité de cette vie de paix.

Pourquoi avoir choisi le CICR?

Pour moi, ce mouvement est en quelque sorte la conscience de la société moderne, en prise aux turbulences de l'Histoire et des communautés. Totalement neutre, le CICR est indispensable pour venir en aide, indépendamment des races, des peuples, des opinions politiques.

Comment y avez-vous accédé?

II y a quelques années, en parlant de tout cela avec Cornelio Sommaruga, son ancien président, j'ai d'abord accepté une collaboration ponctuelle. Mon métier très prenant ne me permettait pas d'en faire davantage. Un matin d'octobre dernier, j'ai reçu un coup de téléphone de son président actuel, Jakob Kellenberger, qui m'apprit que j'avais été élu au comité et qui me demandait si j'acceptais. Ce que j'ai fait pour le le' janvier 2001.

Quel monde avez-vous découvert?

D'abord, j'ai découvert le siège du CICR à Genève, avec son comité et ses directeurs. Un quartier général où l'on réfléchit, anticipe et forme du personnel - dont les délégués -, d'où l'on conduit les opérations à travers le monde, avec 10000 collaborateurs et une impressionnante organisation de soutien logistique, parfois fort compliquée, mais bien huilée.

Vous avez aussi découvert l'Afghanistan...

Je m'y suis rendu en mai-juin derniers et j'ai pu constater le bien-fondé des vastes opérations que le CICR y menait alors - et poursuit toujours - pour soutenir des centaines de milliers de personnes vivant dans une précarité extrême. Des centaines de tonnes de subsistance y étaient acheminées dans des conditions de plus en plus difficiles.

Dans quel état se trouvait alors ce pays?

Un désastre que ce pays, qui était complètement mutilé par une sécheresse de trois ans, par la guerre civile et par l'intransigeance politique. Malgré des conditions de vie qui évoquaient presque l'Antiquité, j'y ai rencontré une population admirable d'endurance et de dignité, sur le terrain, dans les hôpitaux ou les centres orthopédiques. Là, comme dans les prisons, la visite d'un membre du CICR était susceptible de redonner l'espoir. Cela se voyait sur des visages qui parfois esquissaient un sourire, exprimaient de la reconnaissance.

Que pensez-vous du 11 septembre et de la riposte américaine?

A la suite de ces attentats, dont la nature, heureusement exceptionnelle, est assez fantastique pour faire réfléchir chacun de nous, la riposte américaine a un caractère logique. Surtout, elle s'inscrit dans un cadre stratégique dépassant ces attentats: celui d'une démarche diplomatique considérable. Démarche qui connaît une certaine efficacité puisque des gouvernements qui soutenaient les talibans se sont ensuite rangés du côté de Etats-Unis. Un changement dans la marche du monde?

Cette riposte dans l'espace, en Asie notamment, va également s'étendre dans le temps et va vraisemblablement durer des années. I I faut se faire à ce changement qui aura des conséquences partout dans le monde, y compris en Europe. Reste à espérer qu'il y ait le moins de victimes possible: je pense en particulier à l'Afghanistan dont la population, extrêmement fragilisée, risque une tragédie humanitaire.

Une note d'espoir?

J'espère que la vie va finir par l'emporter. En Afghanistan en particulier, pays qui me fait penser à une fleur du désert ou de haute montagne, particulièrement fascinante parce qu'elle est rare et que la lumière du lieu la rend encore plus belle.


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