Le CICR constate les violations mais ne juge pas

Changements structurels au siège, situations difficiles sur plus d'un terrain: l'Appenzellois qui préside le CICR fait face avec détermination.

Coopération. Le CICR, que vous présidez depuis deux ans, vient de nommer un nouveau directeur général, et, en avril, vous allez désigner quatre ou cinq directeurs qui l'assisteront. Vaste réorganisation?

Jakob Kellenberger. Non, plutôt une adaptation à laquelle nous avons réfléchi depuis l'automne. Le mandat de notre directeur général se terminera en juin. II ne désirait pas le renouveler et part à la retraite. Et le directeur des opérations a demandé de changer de fonction. Comme la maison va bien, le moment me paraissait idéal pour une restructuration limitée, mais utile, de la direction. La direction actuelle travaille bien, mais sur la base de certaines expériences j'ai réalisé que, pour la prise de décisions, il y aurait un potentiel d'amélioration.

On va donc passer d'une direction «de consensus» à une direction générale assistée de directeurs. Qui nommera ces derniers?

II s'agit donc d'améliorer la capacité de décision de la direction. La recherche du consensus est toujours bonne. Au CICR il existe une tradition du «brainstorming» large, ce qui est une bonne chose. Mais il importe qu'après avoir délibéré, on décide, puis que les décisions soient mises en couvre. Et la décision appartient au directeur général.

Pour ce qui est de la procédure, l'Assemblée décidera en mars du nombre et du nom de départements sur proposition du nouveau directeur général. Et c'est elle qui nommera probablement les directeurs/directrices en avril, sur proposition du président, qui aura consulté le directeur général.

L'Assemblée - que dans le public on appelle encore «le Comité» - compte une vingtaine de membres, dont cinq forment le Conseil. Quelles sont les attributions de ce dernier? Et vont-ils aussi être touchés par la réorganisation?

L'Assemblée n'est pas touchée par les changements à la direction. Quant au Conseil, il prépare les dossiers importants qui vont à l'Assemblée. II peut également prendre des décisions sur plusieurs sujets, de sa propre initiative (par exemple engagements nouveaux de grande envergure) ou sur proposition de la direction (rallonges budgétaires par exemple). L'Assemblée exerce la haute surveillance et adopte des positions concernant la doctrine et la stratégie institutionnelle.

Elle approuve également le budget. La direction, qui participe aux délibérations du Conseil et de l'Assemblée, propose une grande partie des objets des délibérations.

Et le rôle du président?

II ne change pas. II préside l'Assemblée et le Conseil et, assumant la responsabilité première des relations extérieures du CICR et ayant la compétence de décider en cas d'urgence, il est aussi opérationnel, ce qui correspond assez à mon tempérament. J'aime travailler étroitement avec la direction, et je fais donc aussi le pont entre les différents organes. Au CICR, presque tout touche aux relations extérieures. Dans bien des cas, il n'est pas nécessaire d'impliquer le président. Mais il y a un niveau de sensibilités ou de portée politique où il doit être impliqué.

Nous n'avons encore rien dit des délégués. Certains semblent regretter l'époque où le délégué décidait et faisait ensuite rapport à Genève. Aujourd'hui, il faudrait d'abord demander au siège avant d'agir.

J'ai été à plusieurs reprises sur le terrain, et je n'ai pas eu cette impression, au contraire. J'ai constaté avec satisfaction la grande autonomie, le pouvoir de décision des chefs de délégation. II est difficile d'évaluer la portée de certaines remarques, dont on ne sait pas de qui elles émanent. II faut voir aussi que l'organisation a beaucoup grandi, par rapport à il y a seulement dix ans. Le CICR emploie presque 12000 personnes, employés locaux, expatriés et collaborateurs au siège. Mais la volonté de la maison, la mienne comprise, c'est de travailler de manière décentralisée en donnant des compétences très importantes aux chefs de délégation. Exemple: l'Afghanistan. Notre délégation y compte 1130 employés, dont 130 expatriés. Le chef de la délégation est responsable de la sécurité de tous. Or la seule chose en matière de sécurité qu'il ne puisse décider de luimême, c'est celle d'évacuer la délégation ou d'utiliser des escortes armées.

Lorsque vous avez désapprouvé votre chef de délégation en Israël, des collaborateurs ont dit leur mécontentement.

C'est un bon chef, mais lors d'une conférence de presse, il a dit quelque chose avec quoi je n'étais pas d'accord. II est clair que les implantations israéliennes dans les territoires violent la IVe Convention. Mais il a assimilé cela à un crime de guerre. Or le CICR n'est pas un tribunal. II constate les violations, mais il ne juge pas. J'ai réagi rapidement, de manière décidée. Cette fermeté n'a peut-être pas été facile à accepter pour tout le monde sur le coup. Au fond je préférerais de ne plus devoir revenir sur un événement qui remonte à presque une année.

Qu'en est-il des difficultés avec les Etats-Unis? II y a eu des accrocs avec la Croix-Rouge américaine, avec des parlementaires et maintenant avec le State Department.

Les rapports entre le CICR et les Etats-Unis sont bons. II arrive que nous ayons parfois des divergences, mais nos relations sont imprégnées d'une confiance mutuelle. Une preuve: les Etats-Unis regardent d'assez près l'efficacité d'une institution avant de la soutenir. Or ils sont de loin le plus gros donateur du CICR. A la question de savoir si cela expose le CICR à des pressions, la réponse est non. Depuis deux ans que je suis ici, le State Department n'a jamais utilisé sa position de donateur principal pour vouloir influencer la ligne du CICR, je tiens à le dire. Remarquez que les divergences sur le statut des prisonniers de Guantànamo, dont je ne veux pas minimiser la portée, ne nous empêchent pas de visiter les prisonniers selon nos règles, à Guantànamo comme en Afghanistan. II n'en va pas de même dans tous les conflits. Et le dialogue de nos collaborateurs avec les Américains est constructif; dans la majorité des cas ils ont tenu compte de nos recommandations.

A propos du terrorisme, on a dit que les Conventions étaient obsolètes.

Obsolètes? En quoi? J'ai demandé aux services d'examiner cette question sans préjugé. Je ne vois pas, sur cette base, en quoi les art. 4 et 5 de la Ill' Convention ne couvriraient pas ce conflit armé international ayant pour but spécifique la lutte contre le terrorisme. Mais je reste ouvert à écouter d'autres arguments, aussi sur cette question. Cependant, le grand problème n'est pas celui de l'adéquation des Conventions avec la réalité, qu'on la considère comme nouvelle ou pas, c'est le manque de respect des règles existantes. Imaginez que les règles protégeant les populations civiles soient mieux respectées qu'elles ne le sont, combien de centaines de milliers d'êtres humains ne seraient pas forcés de prendre la fuite. Et si l'on respectait la quarantaine de règles se référant à la protection des femmes et des enfants.


Coopération - 3 avril 2002
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