Cri d'alarme: la famine menace 500'000 personnes

 

Angola:Médecins sans frontières dénonce la passivité du Gouvernement angolais devant le danger qui guette la population. interview de Morten Rostrup, président du conseil international de MSF.

Des dizaines, voire des centaines de milliers de morts et d'autres, tout aussi nombreux qui pourraient les rejoindre prochainement. Dans l'indifférence générale. C'est ce que vivent plus de 500'000 Angolais deux mois après que le gouvernement et les rebelles de l'UNITA ont signé un accord de paix, conclusion d'une guerre civile qui avait ensanglanté cette ancienne colonie portugaise durant près de trente ans.
Selon Médecins sans frontières (MSF), qui a été la première organisation non gouvernementale à lancer un cri d'alarme il y a quelques semaines, une catastrophe humanitaire de premier ordre se joue en Angola. Or, malgré ses appels, rien ou presque n'a bougé. Le Gouvernement angolais et les différentes agences des Nations Unies présentes sur place semblent insensibles à la crise. Pour le Norvégien Morten Rostrup, qui préside depuis décembre 2000 le conseil international de MSF, la réponse de la communauté internationale mais également de l'Angola est largement insuffisante. Il l'a dénoncé lors d'une conférence de presse tenue à Luanda. La Liberté l'a rencontré sur place.

Vous qui rentrez d'une visite d'évaluation sur le terrain, comment jugez-vous la situation?
Elle est très grave. Ce que j'ai vu me rappelle d'autres catastrophes humanitaires comme celles du Sud-Soudan ou du Biafra. Entre 300'000 et 500'000 personnes sont touchées par la famine, mais elles pourraient être aussi plus nombreuses. Le dernier recensement de la population a été effectué en 1992.

D'où viennent ces populations?
Ce sont essentiellement des populations déplacées durant la guerre. On parle de quatre millions de personnes qui se baladaient ainsi dans le pays. Elles n'avaient pas le choix. D'un côté, l'UNITA de Jonas Savimbi s'en servait comme force de travail. De l'autre le gouvernement les obligeait à quitter leurs villages pour éviter qu'elles tombent dans les mains de l'UNITA.

Vous semblez très touché par ce que vous venez de voir à l'intérieur du pays...
C'est vrai. Dans les zones contrôlées précédemment par l'UNITA, auxquelles nous avons eu accès après l'accord de paix du 4 avril, nous avons trouvé des milliers d'enfants dans un état désespéré. Beaucoup sont déjà morts, nous ont expliqué leurs parents. On parle de 70% des enfants dans certaines zones. D'autres le seraient sans notre intervention. Cette vision est difficile à supporter.

En quoi la situation angolaise est-elle exceptionnelle?
Du point de vue de MSF, elle l'est parce que nous gardons sous notre aile 14'000 enfants qui seraient déjà morts sans nous et que nous gérons 44 centres nutritionnels. C'est énorme. Nous aidons aussi de nombreux adultes. Quand ces derniers sont touchés, c'est le signe que la crise est très grave. D'ailleurs, le taux de mortalité dans les camps est cinq à dix fois supérieur à la normale.

Savez-vous combien d'Angolais sont morts déjà de faim?
Difficile à dire. Ils doivent être très nombreux. On sait par exemple qu'en quelques mois plus de 4'000 personnes sur 18'000 sont mortes à Chipindo. Il faut aussi dire que nous explorons encore des endroits qui étaient fermés par l'UNITA et le gouvernement durant la guerre. Nous ne savons pas grand-chose de ces zones grises qui couvrent encore une bonne partie du territoire. Il y aura peut-être encore de mauvaises surprises. En plus, les Angolais ne meurent pas uniquement de famine. Quand vous êtes mal nourris, vous êtes fragiles. La diarrhée ou la malaria tuent très facilement.

Que font l'ONU et les autres ONG?
J'avoue que je ne comprends pas. Il y a urgence et nous nous sentons seuls sur le terrain. Des milliers de personnes sont déjà décédées, mais personne ne bouge. Du côté des agences des Nations Unies, on dit attendre une demande d'aide écrite du Gouvernement angolais et, comme elle n'est pas arrivée, on ne fait rien pour l'instant. Leur manque de réaction est inadmissible. Quant aux autres grosses ONG, elles suivent l'ONU. Peut-être qu'elles n'ont pas notre souplesse financière.

Est-ce à dire qu'on ne croit pas MSF?
Dans un sens, cela se comprend. Peu d'ONG ont vu ce que nous avons vu et nous manquons de relais médiatiques, notamment dans les pays anglo-saxons. Des gens en doutent parce qu'ils ne voient rien sur CNN et ne lisent rien dans les grands journaux. Résultat: nous sommes les seuls à en parler et on pense qu'on tire la couverture à nous. Nous ne voyons pas les choses ainsi. Pour MSF c'est la plus grosse famine du monde. Nous avons réagi. C'est ainsi notre plus grosse intervention actuellement. Nous avons 160 expatriés sur le terrain. Le budget d'urgence se monte à plusieurs millions de francs.

Que demandez-vous?
Que la communauté internationale, l'Angola et l'ONU reconnaissent l'urgence de la situation et réagissent rapidement. Le temps presse.

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"Négligence criminelle!"

Que fait le Gouvernement angolais?
Durant la guerre, il a négligé ses populations. Aujourd'hui, il nourrit les hommes de l'UNITA, mais pas leur famille ni les populations civiles. Je pense que, pour lui, le processus politique est plus important que la crise humanitaire. C'est inadmissible. D'autant qu'il sait très bien ce qui se passe et qu'il a de l'argent. II en a eu assez pour nourrir ses militaires durant la guerre. Il peut le faire pour ses civils aujourd'hui. C'est une négligence criminelle.

Vous dites également qu'il ne vous simplifie pas la vie.
Nous connaissons de gros problèmes avec la bureaucratie pour obtenir des visas pour nos expatriés. Une partie de notre matériel est encore bloqué à la douane.

Le gouvernement pourrait-il vous jeter dehors?
Je ne pense pas qu'il le fera. Nous travaillons ici depuis une vingtaine d'années. Il a besoin de nous.

Combien de temps allez-vous rester en Angola?
Nous travaillerons aussi longtemps qu'il le faudra. Nous espérons que les autres ONG et l'ONU viendront nous aider. Nous pouvons encore amener plus de monde, mais cela va être difficile. Nous sommes proches de la limite.

Quels sont vos besoins?
Nous avons besoin d'argent, de matériel, de nourriture. Nous répondons à la demande sans nous soucier de ce que cela coûte. Il faut aussi que l'ONU réagisse et se charge d'une massive distribution de nourriture. Sinon, notre travail d'urgence n'aura pas servi à grand-chose.


Patrick Vallélian, La Liberté, 14.06.2002
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