L'eau, indispensable mais mal partagée
Plus d'un milliard et demi d'individus n'ont pas aujourd'hui accès à cette ressource vitale.

"Il y a aura une récompense pour quiconque désaltéra un être doué d'un coeur vivant." Voilà ce que déclarait Mahomet dans ses hadiths, ses commentaires du coran. Treize siècles plus tard, la parole du prophète n'a rien perdu de son actualité. En 2002, les ONG ont beau réclamer à cor et à cris un utopique "Droit à l'eau", 1,5 milliard d'individus sont toujours privés d'accès à l'eau potable et 2,5 milliards ne bénéficient d'aucun service d'assainissement. Or d'ici 2025, la planète abritera 7,8 milliards d'habitants et ces chiffres du déshonneur auront doublé. Quant à l'objectif fixé par le secrétaire des Nations unies Kofi Annan - réduire de moitié le nombre d'habitants de la planète privés d'eau d'ici 2015 - il risque fort de rester un voeu pieu.
La demande en eau a déjà été multipliée par sept en un siècle. La démographie la tire chaque année: il y aura, d'ici 2005, 2 milliards de nouvelles bouches à nourrir. A moins de trouver 20 % de ressource supplémentaire d'ici là, 3 milliards d'habitants disposeront, par an, pour survivre, de moins de 1'700 mètres cubes, seuil d'alerte retenu par l'ONU. Si l'on en croit l'Agence canadienne de développement international, ce sont près de deux tiers de la population mondiale qui pourraient être confrontés à un manque d'eau en 2050. "Voilà un des rares domaines dans lesquels on ne progresse pas", constate à regret Jean-Louis Blanc, responsable de la gestion de la ressource en eau du groupe Suez. Un facteur aggrave l'équation: l'uniformisation des régimes alimentaires: produire un kilo de viande nécessite vingt fois plus d'eau que produire un kilo de riz!
Les discours incantatoires se multiplient à l'approche du sommet mondial sur le Développement durable, qui se tiendra à Johannesburg du 26 août au 4 septembre prochain, et du troisième Forum mondial de l'eau, en mars 2003 à Kyoto. En attendant, l'immobilisme des gouvernements suscite une exaspération croissante. Mikhail Gorbatchev, l'ancien numéro Un Soviétique devenu président de Green Cross International, estime que "sans une convention internationale et globale sur l'eau instituant des règles claires et cohérentes pour orienter et amplifier les efforts entrepris, la situation ne pourra pas évoluer ".
D'où la pétition mondiale initiée par un groupe de citoyens soutenus par Green Cross International, le secrétariat international de l'Eau et le Conseil de concertation pour l'approvisionnement en eau et l'assainissement, en faveur d'une "convention cadre" internationale de l'eau.
"Nous voulons qu'une assemblée mondiale des sages pour l'eau soit organisée et mandatée du pouvoir d'élaborer les grandes lignes de la future convention cadre", dit Bertrand Charrier, directeur exécutif de Green Cross International.
De son côté, l'ancien président du Fonds monétaire international (FMI) Michel Camdessus a lancé en février dernier un groupe de travail composé d'une quinzaine d'experts, qui remettront ses propositions concrètes en mars 2003, pour financer les infrastructures en eau.
Or l'inégalité entre le Nord et le Sud est flagrante. Les deux tiers de la population de la planète vivent en effet dans des régions qui reçoivent seulement un quart des pluies annuelles. Ainsi de la Chine qui, avec 22 % de la population mondiale, ne reçoit que 7 % des précipitations. Et ce sont ces mêmes pays qui ont le plus recours à l'irrigation. Résultat : un Africain consomme 30 litres d'eau par jour, contre 600 pour un Américain!
"Cet appauvrissement de la ressource en eau a causé un flux de 25 millions de réfugiés dans le monde, un nombre qui excède pour la première fois le nombre de réfugiés de guerre et qui pourrait atteindre une centaine de millions d'ici 25 ans", met en garde une étude de PricewaterhouseCoopers.
Les fleuves sont en danger. Sur la liste rouge, on trouve le fleuve Jaune en Chine, asséché régulièrement dans ses parties les plus basses, l'Amu Darya (frontière naturelle entre l'Ouzbékistan et l'Afghanistan) et le Syr Daria (au Kazakhstan), dont le dessèchement et la pollution entraînent la disparition progressive de la mer d'Aral, le Colorado surexploité, le Nil, dont 90 % des eaux servent à l'irrigation et le Gange qui ne peut plus répondre à la demande de 500 millions de personnes.
Tout aussi inquiétante est la détérioration de la ressource, qui s'est accélérée au cours de la seconde moitié du XXe siècle. Nombre de fleuves et de rivières ont été transformés en égouts à ciel ouvert. Le rio Bogota en Colombie est tellement pollué qu'aucune forme de vie n'y est possible. La Volga, à elle seule, véhicule 42 millions de tonnes de déchets toxiques.
En attendant, les conflits géopolitiques liés à l' "or bleu" se multiplient à travers le monde. Pas moins de trois cents zones ont été ainsi recensées par l'ONU. Nombre d'entre eux trouvent leur origine dans l'un des 215 fleuves transfrontaliers et le tiers des frontières qui reposent sur des supports hydrographiques.
Ainsi, la Turquie s'oppose à la Syrie et l'Irak à cause de sa politique de grands barrages en amont du Tigre et de l'Euphrate. Les deux tiers de l'eau consommée en Israël proviennent des territoires occupés... Il est révélateur à cet égard qu'après les accords de paix égypto-israéliens de 1979, le président Anouar el-Sadate ait déclaré "L'eau est la seule raison qui pourrait ramener l'Egypte à la guerre"? Mais le Proche et le Moyen-Orient n'ont pas le monopole des conflits. En Afrique aussi, des fleuves comme le Chobe, affluent du Zambèse, ou le fleuve Sénégal, sont autant de sujets de tension entre voisins. L'Inde est pour sa part prise en tenaille entre le Pakistan, qui lui dispute l'Indus, et le Bangladesh qui surveille le Gange et le Brahmapoutre. Et dans les Balkans, la partition de l'ex-Yougoslavie crée des risques nouveaux de litige entre Etats riverains du Danube et de la Save, liés aux pénuries locales et aux transferts de pollution. Le problème de l'eau dans le monde est vraiment un puits sans fond.

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Hélas, elle est salée à 97 %!
"Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme": la maxime de Lavoisier s'applique particulièrement bien au cycle de l'eau. Il n'empêche que l'eau, sous sa forme liquide, est une ressource limitée. Son volume contenu dans l'hydrosphère, qui provient de son dégazage voici quatre milliards d'années, est estimé à 1,4 milliard de km3 et couvre 70 % de la surface du globe. Mais plus de 97 % de cette ressource, qui se trouve dans les mers et océans, est salée. Sur les 2,5 % d'eau douce restants (35 millions de km3), près de 69 % sont prisonniers des glaces des régions arctiques et antarctiques ou des neiges éternelles des montagnes. Il ne reste donc guère que 8,5 millions de km3, dont 30 % sont des eaux souterraines. C'est seulement 0,26 % du volume total d'eau douce de la planète qui est disponible pour la consommation humaine.
Ces valeurs caractérisent la quantité statique moyenne d'eau de l'hydrosphère. Or celle-ci varie à l'échelle des années et des saisons, par les échanges entre les océans, la terre et l'atmosphère. C'est ce qu'on appelle le cycle de l'eau.
La quantité qui ruisselle chaque année sur la terre et qui provient des pluies continentales est de 40'000 km3. Mais comme ce potentiel théorique fait partie d'un système hydrologique et qu'une bonne partie disparaît par évapotranspiration, est située dans des régions éloignées de toute possibilité d'habitation humaine ou encore vient en inondation, il ne reste plus que 13'500 km3 d'eau disponibles. Par conséquent, c'est un cent millionième de l'eau de la planète qui est réellement utilisable.
Le cycle évaporation/condensation/retour à la mer dure en moyenne 21 jours pour les eaux de surface. Le demi-cycle condensation/précipitation est environ de 9 jours, tandis que le demi-cycle de retour des eaux de pluie à la mer est de l'ordre de 12 jours. Les eaux d'infiltration retournent elles aussi à la mer, mais leur cycle est très variable, en fonction des nappes, et peut atteindre des milliers d'années lorsqu'il s'agit de nappes géologiques. Quant aux eaux de pluie, 60 % s'évaporent, 25 % s'infiltrent et 15 % alimentent les lacs et rivières. La quantité d'eau disponible à la surface de la terre sous ses trois formes est constante. Seules les variations climatiques ont une influence sur la quantité disponible sous forme liquide. Aussi le niveau des océans dépend-il de la fonte et de la reformation des glaces. On constate qu'il s'est élevé d'environ 120 mètres au cours des 20'000 dernières années à cause du réchauffement climatique.

Caroline de Malet

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Source de vie, agent de mort
Source de vie, l'eau est paradoxalement un redoutable agent de mort dans la plupart des pays en voie de développement. Alors que l'Europe s'est débarrassée depuis plus d'un siècle des épidémies induites par la consommation de boissons impures, l'Afrique et l'Asie n'en finissent pas de compter les victimes des maladies dites hydriques. Des mieux connues - choléra, diarrhées - aux plus inattendues, elles tuent chaque année plusieurs millions de personnes et constituent à l'évidence l'un des tout premiers problèmes de santé publique dans le monde. Publié en 2000 par l'Organisation mondiale de la santé (OMS), le dernier rapport d'évaluation des ressources mondiales en eau potable égrène un interminable inventaire d'infections liées à l'insuffisance des systèmes d'assainissement. Pêle-mêle, on dénombre chaque année quatre milliards de cas de diarrhée et de dysenterie qui tuent plus de deux millions de personnes, dont la majorité sont des enfants âgés de moins de cinq ans. Mais aussi 500'000 cas de choléra et 500'000 personnes frappées par des fièvres typhoïdes. Quelque 10 % de la population vivant dans les pays pauvres seraient en outre porteurs de vers intestinaux.
Le manque d'équipements sanitaires hygiéniques frappant quelque 2,4 milliards d'êtres humains et, partant, la consommation d'eaux souillées par des excréments apparaissent comme le principal vecteur d'épidémie. Risque connexe : les maladies des yeux et de la peau se propagent avec une rapidité déconcertante dans les communautés incapables d'assurer une bonne hygiène corporelle. En 2000, on dénombrait ainsi plus de 146 millions de cas de trachome, une maladie infectieuse de l'oeil qui se traduit souvent par la perte de la vision.
Face à ces désastres sanitaires, bon nombre d'organisations humanitaires ont décidé de "muscler" les équipes qui interviennent dans un contexte de pénurie d'eau potable. "Ces épidémies constituent désormais l'un de nos champs d'action les plus fréquents en Afrique, avec les campagnes de vaccination, explique-t-on par exemple dans les rangs de Médecins sans frontières. Dans les situations d'urgence, notre priorité est généralement d'assurer un approvisionnement en eau de qualité acceptable. Combinée avec les actions curatives, la chloration permet de supprimer les sources de contamination en détruisant les bactéries." La plupart des spécialistes de santé publique estiment en effet que l'amélioration de la qualité de l'eau constitue le meilleur frein à l'explosion d'épidémies. Sur cette base, l'OMS a fixé lors du dernier Forum mondial de l'eau un double objectif particulièrement ambitieux : réduire tout d'abord de moitié, d'ici à 2015, le nombre de personnes disposant d'un approvisionnement en eau insuffisant. Et, dans un second temps, garantir à chacun un accès correct à l'eau potable en 2025. Façon de rendre caduque une bonne fois pour toutes la formule de Pasteur "Nous buvons 90 % de nos maladies." Aujourd'hui encore, dans les pays pauvres, l'Unicef estime que 80 % des maladies sont dues à de l'eau contaminée ou à de mauvaises conditions sanitaires.

Cyrille Louis

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En Chine, le spectre de la grande pénurie de 2030
La Chine pourrait subir une grave pénurie d'eau d'ici à 2030. Selon Feng Hao, un expert de l'Académie chinoise des sciences, l'approvisionnement en eau ne devrait guère dépasser 560 milliards de mètres cubes par an au cours des 20 prochaines années, en dépit d'une rapide croissance de la population, qui passera de 1,2 milliard actuellement à 1,6 en 2030.
Pour faire face à une consommation qui a littéralement explosé ces dernières années, parallèlement à l'industrialisation rapide du pays et à la pression démographique, la Chine a d'ores et déjà largement utilisé sa nappe phréatique, utilisant 103 milliards de mètres cubes, sur les 130 milliards de réserves présumées.
"Le nord de la Chine utilise actuellement des nappes phréatiques qui se sont constituées il y a 10'000 ans", avertit pour sa part Li Rui, un autre expert qui reconnaît que cette surexploitation s'est déjà traduite par des effondrements et des glissements de terrain.
Largement occupé par des zones désertiques et servi-désertiques, le nord de la Chine connaît traditionnellement de graves sécheresses, tandis que le Sud et le Centre sont régulièrement frappés par des inondations catastrophiques.
Selon M. Li, les régions situées au sud du grand fleuve Yangzi disposent de plus de 80 % des ressources en eau de la Chine, contre 20 % seulement pour les régions situées au nord, qui représentent 63 % de la superficie totale du pays.
A cette mauvaise répartition est venue s'ajouter une pollution préoccupante, conséquence d'une industrialisation et d'une urbanisation rapides. Si rien n'est fait d'ici à 2030 pour enrayer le phénomène, la part d'eau disponible par habitant devrait tomber à 1'760 mètres cubes par an et par habitant, contre 2'200, avoisinant le seuil des 1'700 mètres cubes, celui de la pénurie. La Chine envisage un détournement des eaux du Yangzi vers le fleuve Jaune, qui traverse le Nord, pour un coût total de 64 milliards de dollars.

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"Mal de l'été"
Dans certaines grandes villes d'Afrique, on l'appelle pudiquement le "mal de l'été". Il se traduit par des coliques, des diarrhées, voire des dysenteries. Il est dû à l'eau. Plus la chaleur augmente, plus les habitants pompent l'eau. Cette forte hausse de la demande crée vite une gigantesque bulle d'air dans le système d'adduction, et cette poche de vide fonctionne à son tour comme une pompe aspirante: les eaux usées remontent progressivement dans la canalisations et y déposent des bactéries qui polluent le réseau.

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Demain: "Toshka, un canal pour sauver l'Egypte"
Nasser a laissé le haut barrage d'Assouan et un lac qui porte son nom. Ce barrage a changé la vie de l'Egypte, la protégeant des caprices du Nil. Moubarak, lui, a lancé le projet du Toshka: plus de 200 kilomètres de canaux pour augmenter de 8 % les surfaces cultivables. A terme, 420'000 hectares doivent être irriguées et accueillir 3 millions de personnes autour des activités agricoles, industrielles et touristiques.


Le Figaro économie, 22.07.2002
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