Une mécène fribourgeoise offre une école aux jeunes intouchables

Emue par le sort des défavorisés du sud-ouest de la péninsule, une donatrice de Schmitten, aujourd'hui décédée, a souhaité leur léguer une partie de sa fortune. Un notaire et un médecin du Rotary-Club Fribourg-Sarine ont exaucé ses voeux.

Pour les habitants du Kerala (sud de l'Inde), l'école pour infirmières ouverte récemment à Cochin apparaît un peu comme un cadeau de Noël avant l'heure. Et ses pensionnaires, toutes issues de la classe des intouchables, la plus basse de la hiérarchie indienne, savent toute la reconnaissance qu'elles doivent à leur bienfaitrice fribourgeoise aujourd'hui décédée, Beatrix Brülhart-Bühlmann. Les biens de cette ancienne citoyenne de Schmitten ont servi au financement de la construction de l'établissement qui peut aujourd'hui former 42 jeunes filles.
Le début de cette aventure humanitaire commence par un retour de voyage en Inde. Beatrix Brülhart-Bühlmann est bouleversée par la misère qui sévit dans cette région. «Cette dame est venue un jour à mon étude», explique Peter Burri, avocat et notaire. «Elle m'a demandé qu'à sa mort sa maison soit vendue pour soulager la misère en Inde! Or, je ne connaissais rien de cet immense pays.» Voilà un beau projet aux contours bien flous qui effraie dans un premier temps l'exécuteur testamentaire. Peter Burri parle alors de ses soucis à Claude Regamey, médecinchef à l'Hôpital cantonal de Fribourg, mais aussi membre très actif du Rotary-Club Fribourg-Sarine. Presque chaque année, le Rotarien coordonne une opération dans le tiers-monde pour le compte de son club-service. Le dernier mené à chef est l'aménagement d'un poulailler industriel dans le sud de Kinshasa (République démocratique du Congo).

LE TROISIÈME HOMME
Claude Regamey accepte de présider la fondation administrant les fonds laissés par Beatrix Brülhart- Bühlmann. Et l'aventure commence. Un autre personnage va jouer cependant un rôle clé : un homme d'Eglise indien officiant dans le diocèse du Kerala, le Père Stephen Thottathil. «Beatrix Brülhart-Bühlmann le connaissait, car elle l'avait hébergé chez elle lorsqu'il faisait ses études de théologie à l'Université de Fribourg», poursuit Claude Regamey. «Il devenait du coup un maillon important de notre projet.»
Le Père Thottathil entre en contact avec Claude Regamey et ce dernier s'envole pour le Kerala en février 2001. Le Kerala, haut lieu de la médecine ayurvédique, situé au sud-ouest de l'Inde et au sud de la côte Malabar, pays des épices, compte 1,5 million de catholiques.

JASMIN ET ALLERGIES
A son arrivée dans la ville de Timeralla, Claude Regamey est reçu par le père Thottathil qui avait occupé la fonction de directeur de l'hôpital local. Le médecin a droit à une réception en règle: pas moins de 100 jeunes filles en saris lui font une haie d'honneur. En plus du traditionnel point rouge sur le front et l'onction de noix de coco, une maîtresse de cérémonie lui offre un collier de fleurs de jasmin qui provoque chez le docteur une allergie monumentale! A l'entrée de l'établissement trône l'inscription « Pushpagiri hospital welcomes professeur Claude Regamey and the Swiss delegates».
Le médecin s'aperçoit bientôt de la précarité des locaux servant à la formation des aides-infirmières officiant dans l'hôpital. «La buanderie est en plein air. Le toit de la salle de cours est en tôle, ce qui transforme les leçons en un véritable calvaire à cause de la chaleur pesante qui règne tout au long de l'armée», décrit Claude Regamey. «Le problème de cet établissement réside dans le fait qu'il ne reçoit aucune aide de l'Etat, contrairement aux écoles d'infirmières. Située au bas de l'échelle, la formation d'aides-infirmières n'accueille que des femmes issues de la caste indienne la plus défavorisée, celle des intouchables.»
Une fois la visite effectuée, tout est allé très vite. «Quarante minutes à peine après la réception, nous nous sommes mis à dessiner les plans en compagnie de l'évêque et d'un architecte», s'étonne encore Claude Rega mey. «L'idée d'un bâtiment comprenant 4 niveaux ainsi qu'une salle pour les loisirs a jailli. Montant nécessaire à la construction: 200 000 francs. Durée des travaux: 18 mois.»

16 DIPLOMÉES PAR ANNÉE
Et le 1« octobre dernier, après 20 mois de travaux, le professeur Regamey ainsi que Peter Burri ont pu inaugurer le bâtiment en présence du ministre indien de l'Urbanisme des grandes villes, venu tout exprès de New Delhi. Ses collègues de l'Etat du Kerala et directeur de l'école Abraham Kakanatt sont aussi de la partie. Le cérémonial, salué par une mémorable tempête de mousson, est le même. Mais cette fois on offre à Claude Regamey une écharpe de soie pour éviter l'allergie au collier!
« Cette réalisation si rapide n'aurait jamais abouti aussi vite sans l'appui de la communauté catholique de la région qui fait preuve d'une tonicité extraordinaire», note le professeur Regamey. «Au rythme de 16 diplômées par année, ce sont également 16 familles d'intouchables
qui sortiront de la misère. »

Leur salaire: 35 à 70 francs par mois

Les cours dispensés au Pushpagiri hospital durent deux ans. Une fois leur diplôme obtenu, les aides-infirmières peuvent travailler dans la région ou à l'étranger (Malaisie, Singapour ou Arabie saoudite) et recevoir un salaire honorable, entre 1000 à 2000 roupies (35 à 70 fr. par mois), voire plus si elles s'expatrient. Elles le reversent en partie à leurs familles. Celles-ci sont souvent très endettées à cause de la pratique des dotes pour le mariage empruntées à des taux pouvant atteindre 18% par mois !» Avant la construction de leur nouvelle école, les aides-infirmières vivaient dans des conditions difficiles : le bâtiment était délabré. Les dortoirs se situaient sous le toit et étaient exigus. Pour ranger leurs effets personnels, elles ne disposaient que d'un carton sous leur couche et d'un sac. Un seau d'eau, également rangé sous leur lit, leur servait de salle de bains. Or l'hygiène est très importante chez les Indiens qui veillent toujours à rester propres. Aujourd'hui rénovée, l'Ecole Beatrix Brülhart-Bühlmann pourra-t-elle rester longtemps au service de ses élèves? «Le but de notre action consiste à lancer un projet et ensuite à en confier le fonctionnement aux autochtones», explique Claude Regamey. «Nous tenons à ce que les projets que nous mettons sur pied s'autofinancent. Bien sûr, une école d'aides-infirmières ne peut pas y arriver. Voilà pourquoi nous songeons à un parrainage des élèves. L'idée doit encore être creusée. En outre, le fait que cette école soit chapeautée par la communauté catholique du diocèse est un gage de pérennité.» Avec le solde de l'argent de la fondation B. Brülhart, Claude Regamey entend cependant payer les frais de nourriture des pensionnaires de première année, puisque les jeunes filles ne gagnent encore aucun salaire. En deuxième année en revanche, leurs stages sont rémunérés. En plus du bâtiment, les fonds de Mme Brülhart ont permis de payer la subsistance des 40 élèves durant un an. C'est déjà ça de pris sur la misère.


La Liberté 22 novembre 2002
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