L'humanitaire craint les excès de la communication

Comment dépasser le dilemme entre le slogan infantilisant l'Afrique
et l'éducation du public sur les enjeux Nord-Sud? Débat à Genève.

« Les préservatifs vous souhaitent de bonnes vacances», «Cet enfant compte sur vous, sauvez-le», « Je ne demande qu'un peu d'eau pour vivre»... La communication humanitaire déferle sur les écrans, dans les espaces pub et dans les boîtes aux lettres. Avec l'écologie, l'humanitaire est devenu très porteur. Pas étonnant puisque la cause est noble, qu'elle permet de faire de la prévention ou de soulager les souffrances aux quatre coins du monde.

Les effets pervers sont légion.
Pourtant, même si elle a acquis droit de cité, surtout par son accès au petit écran, cette communication ne va pas de soi.
«Les organisations humanitaires vivent un dilemme sérieux, comment concilier les nécessités de campagnes émotionnelles pour mobiliser l'opinion face à l'urgence et celles de type informatif pour expliquer les interdépendances Nord-Sud?» interroge Marie Heuze, de l'Unicef.
Car les outils de communication ne font plus de différence entre les techniques de vente d'une lessive et la promotion d'une action humanitaire: par slogan, spot ou dépliant, il s'agit de gagner un public à une cause et, simultanément - c'est bien l'un des problèmes -, de trouver un donateur pour sa propre organisation, sous peine de disparaître.
Ces outils ne sont pourtant pas neutres. Coûteux, ils entraînent une spirale à la hausse de frais de campagne et une compétition qui peut être ruineuse entre les ONG puisque le marché des donateurs, fidélisés ou pas, n'est pas illimité. «Je suis parfois surpris d'entendre des ONG me dire qu'elles doivent lancer telle campagne avant les autres pour marquer leur différence», remarque B. Taieb, directeur d'une agence française de pub.
Les effets pervers sont légion, principalement sur le contenu. «En insistant sur la nécessité de notre travail, on exagère le rôle de l'aide dans la solution des problèmes du tiers monde», s'inquiète Marie Heuze. En jouant sur l'émotionnel, ressort privilégié de l'humanitaire, on flatte, on attendrit, on culpabilise le donateur, on ne l'informe guère. En multipliant les appels à la compassion pour l'Afrique - pour gagner des donateurs -, on fait croire qu'elle n'est qu'un vaste bidonville. Le Sénégalais A. Diallo, de l'ONG Enda, s'emporte: «Avec une caméra, je montre en une journée que la Suisse est en voie de désertification, cela ferait sensation dans mon pays.»
Le médium est-il message, comme l'a prétendu Mac Luhan, le père de l'analyse des médias? Rony Brauman, président de Médecins sans frontières (MSF), en est convaincu. «Attention au piège, les médias influent le message et aujourd'hui, c'est le journal de 20 heures à la TV qui donne le ton en une ou deux minutes, il ne photocopie pas la réalité, il lui faut des images simples, émotionnelles.» Et Rony Braumann d'ajouter: «Il faut insister sur les limites de l'humanitaire et bien voir qu'il est parfois en contradiction avec les intérêts politiques de nos pays.»
Se limitant à l'action d'urgence, sans faire du développement, ni réaliser des actions plus politiques en Europe, beaucoup d'ONG ne sont-elles pas elles-mêmes responsables de l'image réductrice de l'humanitaire? Marie Heuze n'est pas loin de le penser. «Nous savons bien que l'amélioration dans le tiers monde passe par des changements politiques dans les pays riches, pourtant nos messages renforcent l'image de sa dépendance.» La cohérence entre marketing et information devient une nécessité. Helvetas l'a compris. «Nous n'accepterions pas le sponsoring d'une grande banque afin de ne pas perdre notre liberté de critique envers la place financière suisse», explique Anna Regazzoni, sa secrétaire romande. Après la communication, la clarification humanitaire!
 
On pèse un enfant pour l'inclure dans un programme d'alimentation supplémentaire, Gourma Rarhous, Mali, juin 1985

Le nouveau quotidien, 8 octobre 1993
Création site internet de MDL.ch
Publicité et Marketing de RAA.ch