Le rapport sur l'exploitation sexuelle de fillettes en Afrique sème la confusion. Après le scandale, le bordel.

Fin février, les ONG se disaient toutes choquées d'apprendre la situation dans les camps du Liberia, de Guinée et de Sierra Leone où des enfants sont abusés sexuellement contre de la nourriture. Aujourd'hui, elles se retournent contre le HCR.

EIles ne sont pas contentes, les organisations humanitaires. Pas contentes du tout de se retrouver soudain au coeur de la tempête. Fin février, elles ont reçu comme un seau d'eau sur la tête en apprenant les nombreux cas d'abus sexuels de jeunes filles réfugiées au Liberia, en Guinée et en Sierra Leone commis par des employés humanitaires. Et le vent ne s'est pas calmé depuis.

En fait, ce n'est plus tant le quotidien des fillettes qui intéresse le milieu mais cette question: pourquoi ce rapport sort-il maintenant et de cette manière? Après le choc et la consternation exprimés face aux médias devant l'ampleur du phénomène, les organisations se tournent donc vers le Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR) et ses méthodes de travail. Elles lui reprochent de ne les avoir pas averties préalablement, de se contenter de simples «allégations» et d'avoir tardé à réagir. A en croire quelques témoins, l'ambiance est pour le moins électrique entre l'organe onusien et les ONG.

UNE FUITE

Ce n'est pas un hasard si l'information est sortie le 26 février en début de soirée, prenant de court la plupart des correspondants étrangers auprès des Nations Unies, à Genève. Les experts, qui ont enquêté sur place entre le 22 octobre et le 30 novembre, avaient rendu leur rapport et il était en cours d'analyse au HCR après avoir transité par Save the Children, une ONG basée à Londres. Fin février, on a craint une fuite et on s'est dépêché de la court-circuiter par un premier communiqué officiel accompagné d'un résumé de l'enquête en 19 pages accessibles sur Internet.

Le HCR, qui prétend avoir voulu communiquer ces informations au plus vite vu l'ampleur du phénomène constatée sur le terrain par les enquêteurs, a en fait uniquement joué au pompier de service pour reprendre le contrôle de l'affaire et éviter de se voir reprocher son silence ou sa lenteur.

LA CHASSE

Malgré tout, le HCR n'est pas parvenu à maîtriser la situation. Car une autre fuite sème actuellement encore un peu plus la confusion: celle du rapport détaillé de plus de 80 pages qui circule dans plusieurs versions, dont une contenant les noms d'une quarantaine d'ONG impliquées dans des cas d'abus sexuels. Un document très demandé, que même la Berne fédérale cherchait à se procurer! D'où la colère redoublée de ces organisations de se retrouver sur le pont sans avoir reçu auparavant l'avis de tempête.

C'EST LA MANIÈRE...

Citées ou pas citées, là n'est finalement pas le problème. Les ONG reprochent aussi au HCR sa lenteur: est-ce pour accélérer le processus qu'on a organisé une fuite depuis l'intérieur? Et puisque c'est si grave, pourquoi les ONG n'ont-elles pas été immédiatement alertées pour pouvoir faire le ménage et prendre des mesures d'urgence?

Certaines ONG se disent donc scandalisées par la manière dont le HCR les traite et gère la crise. « On ne nous dit rien pendant des mois et puis on nous balance dans l'arène aux lions», dit cet humanitaire qui préfère garder l'anonymat pour ne pas compromettre la suite des échanges. Un autre concerné, toujours anonymement et pour les mêmes raisons, déplore ce qu'il considère comme un «rapport fantôme» qui n'a jamais été finalisé et une version raccourcie qui tient du «bricolage». De la fuite, on est passé à la fuite en avant, résume-t-il, craignant que les allégations ne résistent pas aux vérifications et que toute l'affaire se dégonfle.

TROP LENT

A Paris, où l'association américaine Care a une antenne, on se dit autant choqué que frustré: «Ce n'est pas très agréable d'être sur cette liste sans savoir exactement pourquoi, et le HCR aurait pu faire preuve d'une plus grande transparence», estime son directeur Philippe Leveque. «Nous n'avons pas ce document et actuellement, nous attendons des informations plus précises. Mais nous aimerions bien savoir où se situe notre faille, si outre notre organisation, des personnes sont directement impliquées».

«NOUS ADMETTONS!»

Des critiques que le HCR comprend mais explique par le fait qu'il n'avait pas d'autres choix: «Nous avions décidé de ne rien dire pour l'instant car il s'agit d'allégations, il n'y a pas encore eu de véritable enquête et ce premier rapport n'est même pas terminé, il s'agit d'un document presque brut», précise Ron Redmond, porte-parole du HCR. «C'est parce que nous craignions une fuite et l'utilisation d'informations sensibles que nous avons réagi. Maintenant, le fait que ce document, qui est très très confidentiel, circule est lamentable, ça met les enfants en danger et menace la suite de l'enquête. Je comprends que les ONG, citées à des degrés très divers, ne soient pas contentes. Nous ne sommes pas satisfaits non plus d'avoir dû agir sous la pression d'une fuite et aurions préféré voir tout le monde avant».

Médecins sans frontières (MSF), qui est cité dans le rapport, fait partie des mécontents sans pour autant accuser la procédure faute d'informations. Comme d'autres organisations, MSF attend la suite: à savoir une rencontre en privé avec le HCR pour savoir pourquoi les «french doctors» sont cités...


La liberté - 13 mars 2002
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