Le Pacte mondial (Global Compact) de l'ONU a le vent en poupe.
Plus de 600 firmes y participent déjà, dont 8 suisses parmi lesquelles
ABB et Novartis. Lancée en juillet 2000 avec le soutien de la Chambre
de commerce international (CCI), cette initiative veut encourager
une forme globale de citoyenneté d'entreprise. Les sociétés qui
y adhèrent s'engagent à respecter neuf principes universels en matière
de droits de l'homme, de normes sociales et de protection de l'environnement.
Pour le secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan, l'objectif est
double: contribuer au développement durable à travers l'échange
d'expériences entre divers acteurs et répondre aux critiques des
mouvements antimondialisation qui s'opposent à la libéralisation
des marchés. La Suisse appuie à fond ce partenariat public-privé.
On sait le rôle crucial des multinationales dans le commerce
mondial. On connaît l'impact social et environnemental de leurs
activités. On ne peut donc, a priori, que se féliciter d'une initiative
visant à changer durablement leurs pratiques.
La question est cependant de savoir si le Pacte mondial est le
bon instrument pour cela, un moyen vraiment crédible, effectif sinon
efficace et conforme aux buts de l'ONU. On peut, hélas! sérieusement
en douter. D'abord, ses normes sont vagues et ses critères d'admission
plus que laxistes, au point qu'en font partie des entreprises
connues pour leurs violations de ses principes. Ensuite, il ne comprend
aucun mécanisme de contrôle indépendant permettant de mesurer l'engagement
des entreprises et d'assurer une information transparente.
Ces défauts structurels sont très difficiles à corriger, car
ils ne sont pas des péchés de jeunesse, mais des choix imposés par
l'industrie et son puissant lobby. Le pacte se veut résolument «volontaire»,
mais sans être « un substitut à des structures de régulation». C'est
justement là que le bât blesse. Car les associations patronales
et les entreprises qui s'opposent à toute contrainte au sein du
pacte sont celles-là même qui font pression sur les Etats. Non seulement
pour affaiblir les réglementations socio-environnementales, mais
aussi pour couler à l'ONU toute tentative de réguler leurs activités.
Le Pacte mondial apparaît à cet égard comme un moyen détourné d'éviter
tout contrôle extérieur.
Or, et la réalité le prouve chaque jour, l'autorégulation ne
suffit pas. Aujourd'hui plus que jamais, vu la concentration sans
précédent du pouvoir et de la richesse dans les mains des multinationales,
un cadre juridique s'impose à l'échelle internationale. Les Etats,
dont la Suisse, l'ont d'ailleurs reconnu en intégrant l'idée d'une
convention sur la responsabilité sociale et écologique des entreprises
dans la Déclaration du récent Sommet de Johannesburg.
C'est précisément le rôle de l'ONU de travailler à l'élaboration
d'une telle convention, avant même d'offrir aux entreprises une
occasion bon marché de redorer leur image, au risque d'ailleurs
de ternir la sienne. Finalement, ce qui est enjeu avec le Pacte
mondial, c'est l'intégrité de l'ONU comme garante des droits humains,
son indépendance critique comme instance normative au service du
bien commun. Le Gouvernement suisse, en tant que nouvel Etat membre,
doit en être conscient. Plutôt que d'investir dans le Pacte mondial,
il devrait se mobiliser prioritairement pour une réglementation
internationale des activités et des devoirs des multinationales,
lutter contre toute forme de privatisation du droit et d'instrumentalisation
de l'ONU au profit d'intérêts privés.
*Responsable de politique de développement auprès de la Communauté
de travail Swissaid/Action de Carême/Pain pour le prochain /Helvetas/Caritas
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