Le réfugié palestinien "n'existe pas" !
La convention de 1951 de l'ONU sur les réfugiés est remise sur le tapis à Genève.

Le droit du retour des Palestiniens est un sujet occulté et tabou alors qu'il est au centre du conflit avec Israël. Trois observatrices analysent la situation alors que débute à Genève la réunion des 140 Etats signataires de la Convention sur les réfugiés.

usqu'à quand la Suisse va-t-elle continuer à payer des sommes importantes pour des projets avec les réfugiés palestiniens alors qu'ils ne bénéficient d'aucun cadre juridique? Le gouffre politique ne fait que s'amplifier. Avec la détérioration de la situation, les Palestiniens vont affluer en Europe car les Etats-Unis vont certainement leur fermer les portes. C'est donc dans l'intérêt des Suisses et des Européens qu'on parvienne à s'entendre sur un régime de protection internationale pour les réfugiés palestiniens». Voilà comment l'avocate américaine d'origine pakistanaise, Susan Akram, professeure à l'Université de Boston, a répondu récemment lors d'une conférence-débat à Genève sur la pertinence de discuter du droit de retour des réfugiés palestiniens alors que le conflit se dramatise jour après jour.

«Le droit au retour n'est pas un mythe, il est basé sur les lois internationales»

«Avec les destructions massives des maisons palestiniennes et les implantations de colonies juives par-dessus, on continue de créer de nouveaux réfugiés sans statut. D'où l'importance du débat autour du droit de retour face à la politique de Sharon».

Véritable casse-tête, le droit du retour des réfugiés palestiniens est l'un des principaux obstacles à l'aboutissement du processus de paix. Il concerne les 500'000 réfugiés expulsés de leurs terres par Israël en 1948, ainsi que leurs descendants (leur nombre total est estimé entre 3 et 5 millions). La question est toujours restée sous le tapis lors des négociations.

«Lors du premier accord d'Oslo entre l'OLP et Israël, en 1993, tout le monde a pu voir noir sur blanc qu'aucune place n'était accordée à la question des réfugiés dans un cadre pourtant supposé être une solution durable du conflit», explique l'une des conférencières Ingrid Gassner Jaradat, responsable de Badil Resource Center. Ce centre de recherche travaille depuis sept ans sur les pistes possibles pour ce problème épineux. «Nous avons créé ce centre pour amener les Palestiniens à prendre conscience que le droit au retour n'est pas un mythe, mais qu'il est basé sur les lois internationales».

C'est d'ailleurs un peu par hasard que l'avocate Susan Akram s'est penchée sur le statut des réfugiés palestiniens. «Cela faisait 20 ans que je défendais des cas de réfugiés aux Etats-Unis. Les 11 derniers cas venaient du Moyen-Orient. J'ai été alors frappée de découvrir qu'il y avait un vide juridique concernant les Palestiniens. C'est alors que j'ai épluché, avec mes étudiants, la Convention internationale des réfugiés de 1951 pour en comprendre la raison».

En effet, les réfugiés palestiniens ont un statut complètement à part au sein des lois internationales des réfugiés. Ils ne bénéficient pas des protections et des garanties accordées aux autres réfugiés et apatrides. Selon la Convention relative au statut des réfugiés de 1951 et au protocole de 1967 (dont l'organe international chargé de les protéger est le Haut-Commissariat des réfugiés), un réfugié a droit à une pièce d'identité et à un travail. S'il est apatride, ce statut n'est pas transmis à la génération suivante. Son enfant a droit à la citoyenneté dans le pays d'accueil. Pour des raisons historiques et juridiques, ces droits ont été déniés aux Palestiniens. Ces derniers ont été soumis à un régime à part régi par l'UNRWA (United Nations for welfare and assistance) et l'UNCCP (Conciliation Commission on Palestiniens).

HORS CONVENTION

Or, l'UNCCP a été dissolue en 1952, sans qu'aucune instance internationale prenne le relais. «La Convention de 1951 contient une disposition stipulant que, si une autre instance se charge d'un groupe de réfugiés (ici, les Palestiniens), la Convention 1951 ne leur est plus applicable. Mais la convention stipule aussi que si l'assistance et la protection venaient à se terminer, ces personnes doivent être à nouveau couvertes par le régime de la convention de 1951. Or, malgré la dissolution de l'UNCCP en 1952, les Palestiniens n'ont pas été mis sous le régime de la Convention de 1951. Résultat: il n'y a plus d'entité chargée de faire respecter leurs droits sur le plan international» .

COURSE CONTRE LE TEMPS

Outre cela, le sujet demeure tabou tant au sein de la communauté israélienne que sur le plan international. «Quand on aborde cette question en Occident, on devient tout de suite porte-parole des peurs des Israéliens. Et alors, le problème de fond est court-circuité, explique la directrice de Badil. On prend automatiquement position au nom de ceux qui sont déjà là aux dépens des autres. Le message alors adressé aux Palestiniens est qu'ils ne doivent pas aborder cette question, ou doivent faire des compromis avant même qu'on parle d'une solution».

Installés depuis 50 ans sur ces terres, les israéliens ne veulent, en effet, pas entrer en matière sur les revendications des Palestiniens. «Le facteur du temps doit être mis sur la table, poursuit Ingrid Gassner. Car il joue un rôle certain dans la reconsidération du retour. Aucun doute que les Juifs qui ont grandi depuis 50 ans sur le même lieu ont aussi des droits. Mais on ne peut pas mettre en relation directe le facteur temps et la possibilité pour les victimes de revendiquer leurs droits. Au contraire, les violations de ces droits deviennent plus graves avec le temps. Si le temps annulait les droits, toute l'argumentation sur les victimes de l'Holocauste n'aurait pas lieu d'être. C'est pour cela qu'il faut trouver des compromis entre le droit de ceux qui ont été expulsés (réfugiés) et ceux qui vivent là maintenant. Le cas d'Israël n'est pas unique. Le problème se pose chaque fois qu'il y est question de retour de réfugiés».


Carole Vann, La Liberté 12 décembre 2001
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